Tous myopes !

Extrait de l’article de Coralie Hancok dans Science et Vie de juin 2015

 

C’est une épidémie sans précédent ; après l’Asie, la myopie touche désormais tous les continents.  methode bates association l art de voir

C’est une épidémie sans précédent ; après l’Asie, la myopie touche désormais tous les continents. Une personne sur quatre dans le monde voit flou.

Les chercheurs s’accordent aujourd’hui pour pointer une exposition insuffisante à la lumière naturelle, l’hérédité n’expliquant pas tout.

Une grande méta-analyse européenne consacrée à la myopie, menée sur plus de 60 000 personnes dans 12 pays révèle que 30.6% de la population est myope, pourcentage qui dépasse les 47% chez les 25-29 ans, c’est presque un jeune sur deux !

 

L’alerte est donnée dès le début des années 90 par les pays d’Asie ; en Chine, la myopie touche plus de 80 à 90% de la jeune génération.

 

 

Aux États-Unis, les personnes développant un défaut de myopie représentent 25% de la population en 1970, 41% aujourd’hui.

Voilà l’Europe à son tour touchée. Certains auront pressenti une telle situation, il nous suffit de remarquer l’augmentation des porteurs de lunettes ces dernières années. Mais jusqu’à maintenant, toute évaluation précise était impossible puisque la déclaration des défauts visuels n’est pas obligatoire.

Les chiffres ont pris une proportion inédite à l’échelle de la planète ; jamais aucun trouble de la vision n’avait touché jusqu’ici une population aussi large en termes de tranches d’âge et de répartition géographique. Toute l’espèce humaine est concernée et cela pourrait représenter une étape évolutive dans son histoire, sans que nul ne puisse en déceler les conséquences à terme…

 

UNE MYOPIE DE PLUS EN PLUS FORTE :

Des experts ont été interrogés il y a un peu plus d’un an ; ils pointaient du doigt les bouleversements récents de nos modes de vie et plus particulièrement le peu de temps passé dehors durant la prime jeunesse. Ces hypothèses ont été confirmées par de nouvelles études.

La myopie manifeste une diminution de notre accès au monde, une perte de la faculté de voir les détails au loin. Il s’agit là d’un rapport très particulier à la réalité, qui n’induirait pas un rapport cognitif particulier.

La généralisation cache cependant un problème plus grave, celui des fortes myopies (supérieures à -6,00 dioptries) qui seraient plus de de 20 millions en Europe. En Asie cette population de forte myopie est en progression et atteint 15% des jeunes adultes à Singapour.

Alexandra Roos, responsable R&D de la myopie chez Essilor se sent très préoccupé par cette situation : « il faut ralentir cette évolution en urgence, car les personnes fortement myopes sont exposées à un risque de complications visuelles autrement plus graves que la simple myopie, au point de conduire à la cécité » (rétinopathies, décollement de rétine, glaucome…)

Pour les chercheurs, il est grand temps de se poser la question afin de mieux cerner les mécanismes de la myopie et de se donner une chance de l’endiguer.

 

C’est une épidémie sans précédent ; après l’Asie, la myopie touche désormais tous les continents.  methode bates association l art de voir

 

Si le monde devient myope, ce ne peut être le fruit du hasard. De toutes les causes possibles, l’une d’elles paraît déterminante : nos yeux pâtiraient gravement du manque d’exposition à la lumière du jour.

La maturation de notre système visuel après la naissance demande des années pour que la vision s’affine, que le champ visuel s’élargisse. C’est souvent vers l’âge de 6-8 ans que la myopie est dépistée ; ce défaut visuel étant dû principalement à la longueur de l’œil trop importante, en d’autres termes, les images se forment devant la rétine.

 

La question que pose l’épidémie mondiale de myopie est donc celle-ci : pourquoi les yeux d’un nombre toujours plus impressionnant d’humains deviennent-ils "trop longs"?

 

 

ON NE VIT PLUS ASSEZ DEHORS :

Depuis plus de 15 ans, les chercheurs se mobilisent pour répondre à cette question. Plusieurs hypothèses sont avancées:  Le risque de devenir myope est influencé par notre bagage héréditaire, mais l’ADN ne peut pas expliquer à lui seul l’explosion des cas un peu partout sur la planète,

Le temps passé par les enfants, le nez collé sur leurs cahiers ou sur les écrans ne semble pas non plus expliquer totalement l’ampleur du phénomène. Des études épidémiologiques récentes mettent en avant une autre hypothèse :

l’épidémie de myopie serait fortement corrélée au temps passé en plein air.

 

Donald Mutti, à l’université d’état de l’Ohio (USA), démontre que le risque de devenir myope pour un enfant dont les deux parents le sont, chute de 60 à 20% s’il passe plus de 2 heures par jour à l’extérieur.

L’équipe de Ian Morgan (université de Canberra) s’est intéressée aux enfants d’origine asiatique vivant à Sidney (taux de myopie de 3.3% dans ce groupe) et à Singapour (taux de myopie de 29.1%), ces deux groupes partageant un profil génétique et un régime alimentaire commun. Ses résultats vont dans le même sens ; les enfants de Singapour passent à peine 30’ par jour dehors, ceux de Sidney profitent de l’extérieur, 2 heures en moyenne.

 

En Grande Bretagne, Jeremy Guggenheim (université de Cardiff) a montré en 2012 que les jeunes anglais entre 8 et 9 ans qui passent peu de temps dehors ont 40% de risques en plus d’être dépistés myopes entre 11 et 15 ans par rapport aux enfants restés plus souvent dehors.

 

Une méta-analyse de 2012 conclue que chaque heure supplémentaire passée dehors réduit de 2% le risque de devenir myope.

Par quel(s) mécanisme(s) la durée du temps passé en plein air influence-t-elle le risque de myopie ?

 

UN EFFET PROTECTEUR DU SOLEIL :

 

Premier constat émis par les chercheurs : l’augmentation de la myopie n’est pas liée à l’activité physique. La réponse se trouverait dans les effets causés par la lumière naturelle sur notre corps.

La couleur de celle-ci pourrait jouer un rôle.

En 2013, l’équipe de Chi Luu (Melbourne) a montré que la lumière rouge (lampes classiques et à filament de tungstène) favorise la progression de la myopie, tandis que la lumière bleue la freine.

Mais l’hypothèse la plus étayée aujourd’hui se concentre sur l’intensité de la lumière solaire.

Selon le Danois Klaus Trier et le Chinois Dongmei Cui (Canton), il existe un phénomène saisonnier dans la progression de la myopie.

La myopie des enfants Danois suivis en hiver a progressé de 0,32 dioptrie et leur œil s’est allongé de 0,19 mm ; ceux suivis l’été ont connu une progression de leur myopie de 0,26 dioptrie et leur œil s’est allongé de 0,12 mm.

Biologiquement cette différence serait due à un neurotransmetteur dont la synthèse est régulée par la lumière : « la Dopamine ». Plus la lumière est intense, plus la rétine secrète de la dopamine (Regan Ashby). « Or cette molécule freine la croissance de l’œil ; lorsque l’on bloque l’action de la dopamine, les effets protecteurs de la lumière sur la myopie ne se font plus sentir ».

Pour bon nombre de scientifiques, l’hypothèse d’un déficit en dopamine est la plus avancée pour expliquer cette épidémie, le temps passé en vision de près n’en serait responsable que de façon indirecte.

 

DES ESSAIS CLINIQUES CONCLUANTS :

C’est une épidémie sans précédent ; après l’Asie, la myopie touche désormais tous les continents.  methode bates association l art de voir

La solution idéale serait de faire jouer les enfants en plein air, surtout dans les pays de l’Est asiatique, où la pression est telle qu’ils n’ont même plus le temps de rester dehors.

 

Entre 2009 et 2012, Ian Morgan à Canton fait rester à l’extérieur, 1000 élèves de différents établissements, 45 minutes supplémentaires par jour.

Les résultats ont été comparés au groupe d’élèves qui n’avaient pas modifié leur emploi du temps. Les résultats préliminaires suggèrent une réduction de 25% des nouveaux cas de myopie.

  

A Taîwan, un autre essai clinique, publié en septembre 2013, a obtenu une diminution de 50% des nouveaux cas de myopie, en encourageant simplement les enfants à passer la récréation à l’extérieur.

Un nouvel essai clinique dirigé par Ian Morgan prévoit de faire étudier dans une salle de classe conçue pour être entre 30 et 60 fois plus lumineuse qu’une salle conventionnelle, afin de limiter l’apparition de nouveaux cas.

(Extrait de l’article de Coralie Hancok dans Science et Vie de juin 2015)

 

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